
Obligation Tracfin : trop forte extension du domaine déclaratif ?
Un avis du Conseil d’État est venu élargir le champ d’application de l’obligation de déclaration de soupçon à Tracfin. Les cabinets comptables doivent désormais tenir compte d’un éventail plus large de situations à signaler, au-delà des seuls soupçons de blanchiment. Cette évolution renforce les responsabilités déclaratives de la profession et appelle à une vigilance accrue dans les pratiques quotidiennes. Explications.
Obligation Tracfin : trop forte extension du domaine déclaratif ?
Un avis du Conseil d’État est venu élargir le champ d’application de l’obligation de déclaration de soupçon à Tracfin. Les cabinets comptables doivent désormais tenir compte d’un éventail plus large de situations à signaler, au-delà des seuls soupçons de blanchiment. Cette évolution renforce les responsabilités déclaratives de la profession et appelle à une vigilance accrue dans les pratiques quotidiennes. Explications.
Une nouvelle lecture de l’obligation de déclaration
En début d’année, le Conseil d’État a rendu un avis consultatif relatif à la portée de l’obligation de déclaration, qui marque un tournant dans l’interprétation de l’article L.561-15 du Code monétaire et financier.
Jusqu’ici, les déclarations à Tracfin concernaient principalement les soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme (BC-FT). Désormais, les professionnels sont tenus de déclarer tout soupçon d’infraction pénale punie d’au moins un an d’emprisonnement, même si aucun schéma de blanchiment n’est identifié.
Cette extension du périmètre déclaratif implique que des faits tels que la fraude, le travail dissimulé, l’abus de biens sociaux ou le détournement de fonds peuvent suffire, à eux seuls, à déclencher une obligation de déclaration.
Une obligation élargie, des implications concrètes
Pour les cabinets comptables, cette évolution signifie une reconfiguration des pratiques de vigilance.
Il ne s’agit plus uniquement de repérer des opérations atypiques ou douteuses, mais d’analyser, parfois en amont, la qualification pénale possible d’une situation observée dans l’exercice de la mission comptable ou sociale.
Cela suppose notamment :
- une montée en compétences juridiques des collaborateurs,
- une mise à jour des procédures internes de vigilance,
- une documentation rigoureuse des doutes identifiés,
- et une attention accrue aux situations dites « sensibles », même sans mouvement de fonds.
Le rapport Tracfin 2024 : contexte et chiffres
Publié en juin 2025, le rapport annuel de Tracfin souligne une hausse de 13,2 % des déclarations de soupçon en 2024, avec plus de 215 000 signalements enregistrés tous professionnels confondus. Dans ce paysage, les experts-comptables se distinguent par une activité déclarative stable, confirmant leur rôle clé dans la détection des circuits financiers illicites.
Mais ce rapport met également en lumière de fortes disparités selon les professions assujetties : par exemple, seulement 15 déclarations transmises par les avocats en 2024, malgré leur poids numérique.
Réactions et réserves de la profession
Cette évolution n’est pas sans susciter des inquiétudes. Plusieurs organisations représentatives ont exprimé leur vigilance face au risque d’un élargissement excessif du champ déclaratif. Selon elles, certaines infractions primaires, bien que punies d’un an de prison, peuvent être ponctuelles, peu graves ou sans lien direct avec le blanchiment, ce qui rend leur déclaration discutable en termes d’efficacité.
Ces syndicats appellent à une application raisonnée et proportionnée de l’avis du Conseil d’État, fondée sur une appréciation concrète de la gravité des faits et du risque réel.
Pour les cabinets : adapter les outils et les réflexes
Dans les mois à venir, les cabinets devront adapter leur fonctionnement à cette nouvelle donne. Cela passe par :
- une mise à jour des manuels de procédures LCB-FT,
- des formations ciblées, notamment sur les typologies d’infractions primaires fréquentes,
- et la sensibilisation des collaborateurs à l’élargissement du périmètre déclaratif.
L’objectif est double : éviter les omissions de situations à signaler, mais aussi limiter les déclarations inutiles, qui pourraient nuire à la qualité des échanges avec Tracfin.
Une opportunité de renforcement des bonnes pratiques
Si cette évolution accroît la complexité réglementaire, elle constitue aussi une opportunité de structurer davantage la vigilance professionnelle. Elle réaffirme la place centrale de l’expert-comptable dans la prévention des risques économiques, sociaux et pénaux.
Dans ce contexte, l’information, la formation continue et le partage d’expérience au sein des réseaux seront des leviers précieux pour accompagner cette transformation.
Ce qu’il faut retenir :
- L’obligation de déclaration de soupçon à Tracfin s’élargit aux infractions pénales passibles d’au moins un an d’emprisonnement.
- Les experts-comptables doivent ajuster leur vigilance, au-delà du blanchiment strictement dit.
Une approche proportionnée, documentée et juridiquement éclairée est plus que jamais nécessaire.